Réforme fiscale : Le Fremskritt à l’épreuve du pouvoir

L’entrée au gouvernement en 2013 du parti du Progrès (Fremskritt, classé ordinairement à l’extrême-droite) a suscité une vive inquiétude parmi les amis progressistes de la Norvège : ce pays, généreux, libéral, n’était-il pas en passe de changer de visage ? Pour d’autres, conscients de la force du consensus nordique qui recentre presque mécaniquement l’action du pouvoir exécutif, la décision d’Erna Solberg était le meilleur moyen de dissoudre le message de ce parti dans le marais des compromis.

La réforme fiscale actuellement en discussion au Parlement (Stortinget) semble donner raison à ces derniers.

Chef du parti du Progrès et économiste de formation, Siv Jensen (46 ans), est ministre des Finances du gouvernement d’Erna Solberg. Elle défend actuellement sa réforme fiscale devant le Parlement et l’opinion publique.

L’originalité de cette réforme est de prévoir des baisses d’impôts à la fois pour les ménages et pour les entreprises quand partout ailleurs en Europe on privilégie ces dernières au nom des politiques de compétitivité, au détriment de la demande et des ménages. Siv Jensen prévoit donc de réduire l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés de 27 à 22 % en trois ans, et d’amputer les recettes de l’état de 14 milliards de couronnes, dont 8,5 milliards dès l’année prochaine.

Du strict point de vue économique, il s’agit d’un pari audacieux à l’heure où le prix des hydrocarbures (dont dépend l’économie norvégienne) semble durablement bas. Il s’agit pour le ministre des Finances de sortir la Norvège du trio-réflexe « gaz – subventions – impôts » en stimulant à la fois la demande et l’offre.

Ces baisses massives d’impôts seront en partie compensées par une augmentation de la fiscalité sur l’immobilier (biens d’une valeur supérieure à un million de couronnes), ainsi que sur les produits exceptionnels des entreprises. L’accent est également mis sur la lutte contre l’optimisation fiscale des grands groupes internationaux.

D’un point de vue politique, l’affaire est risquée. Admis au gouvernement alors que ses résultats électoraux étaient déjà en baisse sensible (un petit tiers des suffrages en moins entre 2009 et 2013), le Fremskritt pourra maintenant se voir reproché de trahir ses engagements électoraux et de mener une politique certes de droite, mais très classique.

En effet, le parti du Progrès avait fait campagne sur la baisse de la fiscalité indirecte, notamment la redevance audiovisuelle (qui augmente cette année de 75 couronnes) et les taxes sur les produits pétroliers (qui augmentent de 2,5 %), et sur le coût de l’immigration (le budget de l’intégration est en hausse sensible, comme nous l’évoquions hier).

Siv Jensen fait un double pari : d’une part que sa réforme portera ses fruits en stimulant l’économie, d’autre part que les électeurs lui sauront gré de son réalisme (avec 16 % des suffrages et 29 députés son pouvoir est nécessairement limité). Il n’est pas sûr, pourtant, que la protestation de droite incarnée par le Fremskritt survive à la gestion des affaires publiques.

Reste l’énigme Erna Solberg : sous ses airs de douce matrone scandinave, le Premier ministre ne cache-t-elle pas une redoutable stratège florentine dont le maître-mot serait « associer pour mieux réduire » ?

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