Cet honnête petit polar est efficace, bien ficelé. Un meurtre, une enquête, quelques fausses pistes, un duo d’enquêteurs attachants, des hommes et des femmes faits de chair et de sentiments, et voilà un roman qui vous prend par la main de la première à la dernière page.
Au cinéma, il m’arrive parfois d’aimer des films ratés, des films dont l’ambition dépassait les limites d’un réalisateur, d’une production, et qu’une réplique, un plan, un enchainement sauvent du désastre. J’ai par exemple aimé Natür therapy, du Norvégien Ole Giæver, en dépit de toutes ses maladresses et longueurs. Et cela pour une image ou deux et un superbe final.
C’est moins vrai en littérature, notamment celle dite « de genre » qui exige que le récit fonctionne et que l’on ne s’ennuie pas. Le polar est aussi impitoyable que les criminels qu’il met en scène : un mot de trop, un mot qui manque, et hop, lecteur, on dézingue.
C’est d’ailleurs assez mystérieux. J’ai ainsi vainement cherché pourquoi je m’étais tant ennuyé à la lecture des Corps de verre, du duo suédois Erik Axl Sund. La pratique de l’écriture à deux claviers a sans doute asséché le style – pour le meilleur, comme une heureux sauvetage du marais des sentiments et postures dans lequel un premier roman est souvent embourbé. L’histoire, probablement (un peu) inspirée par Le livre noir d’Orhan Pamuk, aurait pu fonctionner, les personnages dont certains ne sont pas sans rappeler ceux d’Un homme très recherché de John Le Carré, auraient pu nous intéresser. Mais non. Lectorogramme plat. A la deux-centième page, j’ai renoncé.
Rien de tout cela avec Noir septembre, de la danoise Inger Wolf. Cet honnête petit polar est efficace, bien ficelé. Un meurtre, une enquête, quelques fausses pistes, un duo d’enquêteurs attachants, des hommes et des femmes faits de chair et de sentiments, et voilà un roman qui vous prend par la main de la première à la dernière page. Que demander de plus ? Oh, oui, bien sûr, on pourra jouer les fines gueules et regretter, par exemple, que la ville d’Århus ne soit qu’un cadre formel et pas un quasi-personnage, comme Hamar et le lac Mjøsa dans les romans de Knut Faldbakken. On pourra aussi s’agacer, ici ou là, de quelques transitions un peu lourdes, très « polar qui joue au polar ». Mais, c’était le premier roman d’Inger Wolf (d’autres ont déjà traduits et édités, également par les éditions Mirobole) – depuis le trait d’Inger Wolf a pu s’affiner, et de toutes manières ça ne retire pas grand chose au plaisir que l’on éprouve à la lecture de Noir septembre.
Si l’on veut aller au delà, et se souvenir que tout livre répond à d’autres livres, on observera qu’Inger Wolf se démarque de ses confrères progressistes et suédois (on frise la tautologie…), tels, par exemple, Henning Mankell, Kjell Eriksson ou Stig Larsson. Là où un Mankell nous entraînait, à partir d’un cadavre retrouvé sur le bas côté d’une route enneigée, vers les pires mafias d’un capitalisme mondialisé, Inger Wolf nous ramène aux gens, aux relations qu’ils nourrissent entre eux, aux passions, déceptions et pulsions humaines. Ce choix, littéraire et politique, est d’autant plus saillant qu’Inger Wolf s’amuse à nous entraîner vers quelques fausses pistes, très mankelliennes (nous n’en dirons pas plus pour ne rien ôter au plaisir de la découverte). Lecteurs, nous courons derrière l’appât avec l’enthousiasme d’un lévrier sur une piste de courses. Et puis, non, ce n’est pas cela, et l’auteure nous ramène à la figure germanique du mal tapi dans un cerveau malade, du déviant solitaire, comme dans L’hypnotiseur du suédois Lars Kepler. Les clins d’œil à la littérature policière progressiste sont nombreux (comme cette visite du commissaire Trokic au médecin légiste fortuné), et Inger Wolf semble prendre plaisir à la contredire, à se situer en rupture avec celle-ci. Pour qui s’intéresse à l’évolution idéologique en Scandinavie, ces détails sont passionnants.
Dans le même ordre d’idée, on pourra noter l’ambivalence de l’auteure vis-à-vis de son héros principal, ce commissaire Trokic d’origine étrangère. Inger Wolf en fait un personnage à la fois intégré et marginal, attachant mais constamment renvoyé à ses origines croates, comme s’il n’en finissait pas de venir d’ailleurs. Ça aussi, d’un point de vue idéologique, ce n’est pas rien.
Alors, doit-on se poser la même question que nous nous posions à propos de Jo Nesbø (ici) – Inger Wolf est-elle une néo-réac qui s’ignore ? Sans doute que non. Mais elle est danoise, pleinement danoise, au cœur de l’idéologie danoise et, pour qui aime ce pays, cela contribue aussi à rendre Noir septembre intéressant.
Noir septembre, d’Inger Wolf, éditions Mirobole, traduction de Frédéric Fourreau / Les corps de verre, d’Erik Axl Sund, éditions Actes sud, traduction de Rémi Cassaigne, 22,80 euros.