Voilà bien l’un des charmes de l’exception française et la preuve que non, résolument non, la France ne se replie pas sur elle-même – comme nous voudrait le faire croire l’antienne du Monde et de France-Inter morigénant à l’envi nos compatriotes coupables, forcément coupables, d’étroite franchouillardise.
Oui, un lundi après-midi d’octobre, la salle était quasiment pleine pour assister à la projection en VOST d’un film finlandais réalisé en 1940. À la cinémathèque ? Point du tout ! Dans le réseau commercial, certes « arts et essais », ici le cinéma Reflet Médicis, rue Champollion (Paris 5e). Pour une séance unique ? Non plus ! Il y en avait cinq par jour et cela depuis une semaine… Cette affluence prouve que oui, en France, on s’intéresse à la culture, et aux cultures étrangères.
J’ai donc pu voir hier et pour la première fois de ma vie un film de Teuvo Tulio, en l’occurrence Le rêve dans la hutte bergère (Unelma karjamajalla), et au-delà de ce qu’on pourrait appeler «le fétichisme du cinéphile» où l’objet vaut moins pour ce qu’il est (un mélo grand public d’avant-guerre) que pour ce qu’il représente (un film inconnu du public actuel, dont l’auteur est présenté comme source inspiratrice du très reconnu Kaurismaki), mon plaisir fut bien réel.
Certes, on mettra volontiers en avant le charme enchanteur de la photographie dans cette Finlande rurale aux cours d’eau puissants, l’intelligence des plans (souvent filmés en caméra fixe comme dans les films d’Eisenstein dont Teuvo Tulio réclamait l’inspiration), et surtout le montage qui donne à la narration toute sa puissance (la fiche à disposition des spectateurs attire fort justement notre attention sur la séquence du petit pot de lait). Ces aspects sont largement développés dans le long et excellent texte que le Festival International du Film de la Rochelle a publié au sujet du film.
Pour ma part, je revendique une naïveté de spectateur : aucune habileté narrative n’a d’intérêt en soi, seule compte l’histoire elle-même, sa capacité à nous emporter. On ne va pas à un spectacle de magie pour en deviner les trucs et ficelles, mais pour être ébloui. Il en est de même pour la magie du cinéma.
Le rêve dans la hutte bergère vaut pour l’érotisme de son histoire, à des années-lumière du politiquement correct (dernier avatar du puritanisme) : la séduction brutale d’un jeune héritier qui s’exerce sur une toute jeune déshéritée, la manière bravache dont le premier revendique son audace et sa constance mâles, et la délicieuse (et fausse?) candeur avec laquelle la petite paysanne cède à son conquérant. À l’heure où, depuis la mort de Pasolini, plus rien ne se dit de ce plaisir – de céder, d’appartenir, d’être socialement contraint, séduit, subjugué – on est d’autant plus remué par cette fraîcheur et cette vérité des rapports humains qui n’exclut évidemment pas la douceur, constante envoûtante de ce film.*
On appréciera enfin la fraîcheur d’un scénario riche en personnages et en rebondissements qui n’est pas sans rappeler la veine des meilleures séries actuelles. Il y a la femme jalouse qui fait condamner sa rivale, l’enfant enlevé et retrouvé, le frère aîné pétri du sens du devoir et secrètement blessé par la vitalité de son cadet, le vieux paysan simplet et juste… Bref, à tous ceux qui n’attendent pas du cinéma qu’il soit un tableau intimiste à l’histoire minimale, mais qui aiment au contraire s’attacher à certains personnages, en détester d’autres, croire que tout est perdu et être ému quand tout s’arrange, à tous ceux donc qui auront gardé une âme d’enfant à qui on lit une histoire, je n’aurais qu’un mot : allez voir Le rêve dans la hutte bergère de Teuvo Tulio au Reflet Médicis.
Olivier Prévot
rédacteur en chef de L’esprit de Narvik
* (on notera à cet égard qu’au fur et à mesure que le cinéma s’est fait politiquement correct sur les rapports entre les sexes et les classes, il est également devenu hyper-violent : je pense, entre mille exemples, à Sicario dont la caméra s’attarde sur les corps en décomposition mais s’interdit toute séduction entre les êtres vivants).
Merci de ce commentaire à propos de ce film et de ce réalisateur finlandais que je ne connaissais pas. Bonne nouvelle ! Il sera encore à l’affiche du Reflet Médicis la semaine prochaine.
P. L.
Effectivement ! Et il y aura même une conférence d’Irmeli Debarle lundi à 14h sur le cinéma de Teuvo Tulio.(au Reflet Medicis)
De plus : une conférence lundi prochain sur le cinéma de T. Teuvo ? Merci de nouveau de cette excellente information – que j’ignorais.
Cordialement,
P. L.
Eh bien j’espère vous y retrouver, et peut-être serons-nous nombreux.
Depuis j’ai vu l’autre film : Le chant de la fleur écarlate. Même lieux de tournage, mêmes acteurs, mais un film extrêmement différent (les scènes des flotteurs de bois sont incroyables).
Bien à vous.
Oui : je vais essayer de venir lundi prochain sachant qu’après il y a aussi la projection de : ” Le Chant de la fleur écarlate “.
Au plaisir de vous revoir,
P. L.