Égalité des sexes : où en est le Danemark ?

C’est dans le domaine des études que les femmes danoises ont réalisé la percée la plus spectaculaire.

Contrairement à nous autres Français qui cultivons volontiers l’auto-dénigrement, les Danois sont fiers de la société qu’ils ont construite. L’égalité entre hommes et femmes est le fruit d’un siècle d’évolution. Un héritage revendiqué haut et fort à l’occasion du centenaire du droit de vote des femmes. Au delà de ce discours, faisons donc ici le point. Côté faits, côtés chiffres*.

Comme les autres pays scandinaves (1913 en Norvège, 1920 en Suède), le Danemark a accordé relativement tôt le droit de vote et l’éligibilité aux femmes, dès 1915, soit quarante ans avant la France, et dès 1924, dans le premier gouvernement social-démocrate, une femme accède au rang de ministre : Nina Bang qui était en charge de l’éducation. Quant au poste de Premier ministre, il échoira à une femme quatre-vingt-dix ans plus tard, lorsque la socialiste Helle Thorning-Schmidt sera chargée de former le gouvernement en 2011.

Avant-guerre, la proportion de femmes élues au Parlement restera minime (2 %), et il faudra attendre les élections de 1966 pour que soit franchie pour la première fois la barre des 10 % d’élues. Si, depuis le début des années 80, la proportion de femmes élues au Folketinget dépasse les 20-25 %, elle a franchi les 37 % aux législatives de 2015 (contre 27 % d’élues en France lors des dernières législatives, un chiffre également en nette progression).

Dans les Conseils municipaux, la part des femmes est moins élevée (25 % contre 35 en France), et cela est probablement dû à la réforme territoriale de 2005 qui a considérablement réduit le nombre de communes au Danemark – le nouveau découpage communal a institué 98 communes à partir des 275 pré-existantes (lire à ce sujet notre dossier dans le numéro 2 de la revue L’Esprit de Narvik). En effet, l’accroissement de la part des femmes élues est souvent dû soit à la création de nouvelles instances, tel le Parlement européen, soit à un changement de majorité ; au contraire, toute réduction du nombre d’élus favorise la sur-représentation des personnels politiques les plus solidement implantés, a fortiori dans le contexte politiquement stable et relativement conservateur du scrutin municipal.

Le tout dernier gouvernement (de centre-droit) n’a laissé que cinq places aux femmes (sur dix-sept ministères, soit un peu moins de 30 %), mais la tendance sur les vingt dernières années situe la féminisation du gouvernement danois autour de 35 %. Rappelons que si l’actuel chef de l’exécutif, Lars Løkke Rasmussen, a laissé moins de place aux femmes en 2015 – son « équation politique » est plus complexe qu’il y a dix ans car son parti le Venstre est désormais minoritaire dans la majorité « bleue » qu’il forme principalement avec le DF, le Parti du Peuple danois – le même Rasmussen avait conduit, en 2009, un gouvernement où régnait une quasi-stricte parité.

La politique familiale a sans aucun doute été déterminante pour l’évolution de la société vers l’égalité entre les sexes. En déchargeant les femmes du soin exclusif porté à l’enfant, la politique familiale a ainsi permis aux femmes d’accéder aux études et à l’emploi.

Les lois de 1966 et 1973 sur la contraception puis l’avortement ont considérablement fait reculer l’âge du premier enfant. Il est passé de 23 ans en moyenne en 1951, à 29 ans aujourd’hui (28 ans en France). Notons au passage que la contraception concerne une femme sur deux en âge de procréer, et qu’après une brève poussée au milieu des années 70, le nombre d’avortements s’est stabilisé à 12 000 au Danemark (contre 225 000 en France, soit une prévalence de l’IVG plus de 50 % supérieure chez nous).

La loi de 1964 instituant l’obligation pour les communes de créer des structures d’accueil pour la petite enfance a également profondément modifié les obligations familiales des mères, et le taux de socialisation hors-foyer des moins de six ans est passé de 8 % en 1958 à 44 % en 1980 et 88 % en 2014.

Enfin, différentes lois sur le congé parental (la dernière date de 2002 et porte celui-ci à 52 semaines au lieu de 26 précédemment) ont permis une répartition des droits entre pères et mères à partir de la treizième semaine de congé… Mais dans les faits – c’est-à-dire dans les arbitrages faits au sein des couples – les femmes continuent de bénéficier prioritairement de ce droit : 290 jours en moyenne pour les femmes, contre 30 pour les hommes – un chiffre qui varie suivant le niveau d’études (de 20 jours chez les moins diplômés, à 48 jours chez les plus diplômés) ou la féminisation relative du secteur d’activité (de 25 à 42 jours). Pour faire simple, disons qu’un cadre du service public de la santé aura ainsi tendance à user plus facilement de ses droits qu’un ouvrier des chantiers naval. Observons que cette politique familiale généreuse peine à porter ses fruits. En léger redressement (+0,3 en 20 ans), le taux moyen d’enfants par femme est de 1,65 (contre 2,01 en France)

C’est dans le domaine des études que les femmes danoises ont réalisé la percée la plus spectaculaire.

Tandis qu’en 1960, les jeune gens de 25 ans ayant achevé des études supérieures étaient trois fois plus nombreux que les jeunes filles (16 et 5 %), la situation s’inverse dès 1980, avec 25 % de diplômés hommes et 30 % de femmes. Cette tendance n’a fait que se confirmer avec le temps et notamment pour les niveaux d’études les plus élevés. Ainsi en 1990, 8 % des hommes de 35 ans étaient titulaires d’un diplôme « Master 2 » ou au delà, contre 4 % des femmes du même âge. Aujourd’hui, les taux sont respectivement de 16 et 18 %.

Peut-être ne doit-on pas sur-évaluer la portée pratique de ce dernier chiffre. La préférence pour des études supérieures relativement courtes (type DUT) chez les jeunes gens peut aussi traduire un désir d’employabilité plus fort. Même au Danemark, un profil « technicien courants faibles » trouvera plus vite du travail que celui d’une doctorante en ethnologie. Notons d’ailleurs que parmi les personnes ayant les salaires les plus élevés , près de 40 % ont suivi dans leur jeunesse des études courtes et professionnalisantes (si le diplôme est, comme en France, nécessaire pour le premier emploi, il ne détermine pas nécessairement la carrière comme c’est souvent le cas chez nous).

Sur le marché du travail danois, les taux d’emploi des hommes et des femmes sont de 76 et 72 % (contre 76 et 67 % en France) , et les femmes occupent 44 % de l’ensemble des effectifs salariés (contre 28 % en 1960, date à laquelle les femmes ont commencé à entrer massivement sur le marché du travail). Cependant, des différences importantes demeurent : les femmes sont sur-représentées dans le secteur du commerce, de la santé et du social, les hommes dans les secteurs de la production manufacturée, des transports et de la construction (malgré sa culture de l’égalité, le Danemark n’échappe à une répartition des vocations si habituelle qu’elle pourrait sembler… naturelle). Les femmes sont également sur-représentées dans la fonction publique (65 % des effectifs), et particulièrement la fonction publique communale (77 % de femmes) qui a en charge les services sociaux et de santé.

Dernier point illustrant la marche vers l’ égalité des sexes : la délinquance. Tandis qu’en 2000, les femmes ne commettaient que 9% de l’ensemble des infractions, délits et crimes recensés, quinze ans plus tard la délinquance s’était féminisée à hauteur de 20,5 % (mais il est vrai qu’entre temps, le si tranquille Danemark a également vu son taux de délinquance doubler… mais c’est une autre histoire).

Tout semble donc bien aller pour les femmes danoises… tout, sauf dans le domaines des revenus et des rémunérations.

Le revenu moyen des danois était en 2013 de 307 000 couronnes (40 000 euros) et celui des danoises de 244 000 couronnes (32 500 euros). On peut certes expliquer cette différence par l’employeur. C’est dans le secteur privé (où les femmes sont sous-représentées) que la productivité est la plus haute, et s’y concentrent les deux-tiers des plus hauts revenus. Les femmes sont également plus souvent employées à temps partiel, notamment dans le secteur du commerce, ou le secteur social. Au total, 57% des danois qui ont les salaires les plus modestes (inférieurs à 147 couronnes de l’heure, soit 20 euros)… sont des danoises.

C’est parmi les plus hauts-revenus que les différences sont les plus criantes. Si l’on considère l’ensemble des individus ayant un revenu annuel supérieur à 500 000 couronnes (67 000 euros), il apparaît que les femmes n’y représentent qu’un quart de l’effectif total. La proportion est identique lorsque l’on considère les plus hauts salaires (supérieurs à 358 couronnes de l’heure, soit 48 euros) : 76 % d’hommes, contre seulement 24 % de femmes.

Maigre consolation : les Danoises se suicident trois fois moins que les Danois (5 contre 15 pour 100 000 habitants en 2013). Ne dit-on pas en français que plaie d’argent n’est pas mortelle ?

 

* les données concernant le Danemark sont issues du site Danmarks Statistik, celles concernant la France proviennent de l’INSEE.

7 comments for “Égalité des sexes : où en est le Danemark ?

  1. Lea
    5 novembre 2015 at 11 h 05 min

    Cher Olivier, vous omettez de dire que la précédente Première Ministre était une femme… Est-ce parce qu’elle était socialiste ??? 😉

  2. Olivier Prévôt
    5 novembre 2015 at 14 h 35 min

    Vous avez raison, je corrige cela de ce pas !

  3. 5 novembre 2015 at 19 h 57 min

    Je commente sur mon blog car de façon toute générale http://toucherlalumiere.info.over-blog.com/

  4. Olivier Prévôt
    6 novembre 2015 at 8 h 16 min

    Oui, Claude, vous pouvez même vous répondre à vous-même et vous auto-commenter…

  5. 6 novembre 2015 at 11 h 56 min

    Oui Olivier, il est bon de s’auto-commenter :), dans la mesure où notre vie est si naturellement instable – ce qu’on observe surtout bien sûr quand de gros imprévus surviennent, un peu comme des anomalies dans notre système de penser. Et plus on perd de vue le Référentiel Originel/Original qui lui seul est immuable, plus ça risque de péter fort et surprenant – autour de nous ou jusqu’en nous, pour remettre nos pendules psychiques, voire les sexes et le genre, à l’heure du Réel.

  6. netrick
    1 février 2016 at 15 h 08 min

    Les Finlandaises ont l’égalité totale des droits (vote, éligibilité, sociaux,..) depuis 1906. Minna Sillänpää
    est entrée au gouvernement peu après l’indépendance. Le parlement est quasi 50-50. Une présidente;,
    Tarja Halonen. 3 Première-Ministres. Première femme au monde, Ministre de la Défense; Elizabeth
    Rehn (ancienne Junior-Lotta ) . Il y quelques années pour 20 ministres au gouvernement, il y a eu …
    12 femmes !
    On comprend que l’apparition de quelques burquas Somaliennes dans les rues d’Helsinki fassent
    grincer quelques dents !

  7. Olivier Prévôt
    2 février 2016 at 12 h 15 min

    Oui, effectivement.
    Les Vrais Finlandais font partie de la coalition au pouvoir, il me semble ?

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