Sécurité ou souveraineté, l’alternative des europhiles danois pour le référendum du 3 décembre.
La violence des événements du 13 novembre, la menace terroriste jusque dans nos villes, l’absence de perspectives rassurantes à court terme, tout cela monopolise notre attention, réduit notre discernement, exacerbe nos passions, bref nous confronte à un autre danger : perdre un peu la tête. Revenir à une actualité proprement scandinave m’a donc semblé plus que justifié : nécessaire.
Comme je l’évoquais brièvement ici, les Danois sont conviés à se prononcer lors du référendum du 3 décembre prochain sur leurs relations avec l’Union Européenne. Ils doivent approuver ou non la transformation de l’exemption danoise du volet « politique commune de justice et affaires intérieures » du traité de Lisbonne en une adhésion « à la carte » (tilvalgsordning).
Si ce tilvalgsordning est approuvé, le parlement danois pourra, à la majorité simple, adhérer à des politiques communes européennes, soit au moment de leurs discussions (avant accord), soit une fois que la directive est établie (après accord). Dans les deux cas, l’engagement du Danemark sera définitif. Il s’agit donc bien d’abandons de souveraineté, qui pourront, en cas d’approbation le 3 décembre, être par la suite voté à la majorité simple du Parlement, alors que ceux-ci n’auraient pu être décidés qu’à la majorité qualifiée, ou par référendum, précédemment.
Par ailleurs, le texte référendaire soumet à l’approbation populaire l’adhésion du Danemark à un ensemble de politiques communes déjà établies, soit vingt-deux directives – telles celles sur le trafic d’êtres humains, la fausse monnaie ou la cybercriminalité – ainsi que sa participation aux discussions préparatoires de la réforme d’Europol et la création du PNR.
L’Alliance Libérale (LA), la Liste Unitaire (Enhedslisten, rouges et verts) ainsi que le Parti du Peuple danois (DF) appellent à voter non. Le Venstre (parti du Premier ministre, Lars Løkke Rasmussen, centre-droit) et les Sociaux-Démocrates (SD) appellent à voter oui.
La réticence des Danois envers la construction européenne est désormais traditionnelle. On se souvient du rejet spectaculaire du traité de Maastricht en 1992, prélude à notre propre référendum la même année, ainsi que des extrêmes réserves de l’opinion vis-à-vis du traité de Lisbonne quinze ans plus tard, accepté par Copenhague au prix de nombreuses exemptions. Il serait long d’égrener l’ensemble des raisons de cette réticence : sentiment d’être un petit pays dont la voix ne comptera pas dans les négociations intergouvernementales, valorisation et protection de sa propre exception sociale, sentiment d’appartenir à une « PME » qui fonctionne bien quand l’Europe apparait comme une « multinationale » lourde et peu efficace.
A ces sentiments, il faut désormais ajouter la crainte des Danois de se voir imposer une politique d’accueil des migrants dont la quasi-totalité du corps social ne veut pas. L’exemple de la Suède voisine, qui a accueilli depuis le 1er janvier 142 000 migrants est pour une majorité de Danois un repoussoir absolu. Or l’adoption du tilvalgsordning permettrait aux partis qu’on qualifierait ici “de gouvernement” (Venstre, à droite et SD, à gauche) d’engager le Danemark dans une politique migratoire européenne contraire à la volonté populaire, et cela sur un seul vote, à la majorité simple, et de manière définitive. Le Venstre et les Sociaux-démocrates se sont donc engagés à ne pas adhérer à une politique commune migratoire sans un référendum préalable. Le chef du DF, Kristian Thulesen Dahl, souligne que cette promesse participe d’une stratégie habituelle des partisans de l’Europe : « minimiser la portée d’un oui au référendum », et l’assortir de promesses qui, une fois la réforme adoptée, et pour reprendre une expression bien française, n’engagent tout à fait que ceux qui les écoutent.
Les arguments du DF gardent un très fort écho dans l’opinion qui a particulièrement mal vécu la crise des migrants cet été, et notamment la décision unilatérale d’Angela Merkel de ne pas appliquer le protocole de Dublin à l’égard de certaines catégories de réfugiés. L’idée selon laquelle une Europe allemande pourrait à l’avenir dicter sa politique migratoire au petit Danemark est largement admise.
On s’acheminait donc vers un non majoritaire le 3 décembre prochain, jusqu’à ce que surviennent les tueries du 13 novembre à Paris. Nous entendions parler ici d’autre chose, mais les faits sont là, bien décidés à ne pas nous lâcher.
En effet, le texte soumis à approbation porte, entre autres, sur la réforme d’Europol. Le Danemark adhère actuellement à la centrale de renseignements, dans son statut actuel, mais la non-participation danoise à la politique commune de justice remettrait en cause sa participation à la future organisation. C’est donc toute la coopération policière entre le Danemark et ses homologues européens qui pourrait être remise en cause. Dans le contexte actuel, les arguments du Venstre en faveur d’un oui « sécuritaire » portent. L’opinion est extrêmement inquiète, et bon nombre d’indécis, voire d’électeurs a priori hostiles à la construction européenne, verraient d’un mauvais œil leur pays claquer la porte de la coopération policière en Europe, à l’heure où tant de menaces planent sur le continent.
Les eurosceptiques du DF et l’Alliance Libérale opposent un contre-argument en évoquant un « accord parallèle » sur Europol qui suivrait immédiatement un non le 3 décembre. Pour eux, le non ne mettrait pas fin à la coopération policière du Danemark et du reste de l’Europe. Une partie du débat tourne donc autour de cet éventuel « accord parallèle » dont les modérés du Venstre rappellent qu’il ne serait ni automatique (car soumis au bon vouloir des autres partenaires) ni immédiat.